Le Cercle
Réalisé par Gore VerbinskiAvec son approche subtile et hypnotique de l'horreur, son esthétique stylisée et ses effets de miroir, Le Cercle est un film atypique, une œuvre postmoderne qui transcende un genre moribond pour se nourrir des obsessions et des phobies d'une société en proie à une médiatisation excessive.
Petit résumé du filmAprès le décès de sa nièce dans des conditions étranges, une journaliste, Rachel Keller (Naomi Watts), décide de mener son enquête et découvre que la jeune fille est morte une semaine après avoir visionné une cassette vidéo réputée « maudite ». Lorsque Rachel met la main sur la bande, elle ne peut s'empecher de la regarder et reçoit un coup de téléphone qui lui indique qu'il ne lui reste plus que 7 jours à vivre. Elle tentera alors de démystifier cette vidéo avant l'échéance sinistre.
Basé sur Ringu, l'adaptation du fameux roman de Koji Suzuki, qui a engendré une « sequel », une « prequel » et une série, Le Cercle est un film psychologique et audacieux en marge du cinéma d'horreur traditionnel. Par sa dimension visuelle et cérébrale inhabituelle, il se range au côté de The Cell, quelque part entre le cinéma d'art-et-essai — on pense à Lynch, Buñuel, Maddin — et l'Horreur, un genre basé sur des ficelles usées.
Le Cercle et l'image Le film est construit sur une imagerie chargée en symboles. Si ceux-ci sont élucidés à mesure que l'enquête de Rachel avance, ils révèlent cependant, au second degré, des indices allant au-delà de leur simple représentation. L'arbre en feu symbolise la destruction de « racines » et le puit une source de vie — ou de renaissance, dans ce cas la famille, le phare est synonyme de solitude, le profil de l'homme à la fenêtre renvoie à la présence inquiétante d'un membre de la famille et évidemment à Psychose tandis que la mer rouge et le suicide montrent la présence d'un crime et de remords. Rachel est comme cette mouche posée sur l'oeil de la caméra. Elle effleure d'abord la surface du film lors de sa vision mais est ensuite impliquée directement dans ses images que se soit par l'investigation ou la malédiction qui pèse sur elle. On peut voir dans l'utilisation de cette mouche la première allusion mettant en cause le pouvoir de l'image sur le spectateur, l'insecte étant la représentation physique de cette connexion entre l'humain et l'écran.
Mais la scène la plus importante de la vidéo est évidemment celle de la femme devant le miroir. En regardant la caméra à travers le miroir, c'est le spectateur qu'elle regarde, tout en lui renvoyant sa propre image. Un procédé autoréflexif à mettre en relation avec l'origine même de l'existence de la cassette : faire revivre ce drame et cette souffrance au reste du monde, à l'infini. On peut voir ici non seulement la dénonciation du voyeurisme malsain d'une société subjuguée par le malheur des autres mais aussi la mise en cause du medium utilisé, la télévision et en l'occurrence des média avides d'audimat et manipulateurs de l'image. Dans le film, la malédiction se nourrit de la peur de ceux qui ont regardé la vidéo, tout comme les journaux télé se nourrissent de la peur des téléspectateurs en ne diffusant que les malheurs du monde (crimes, accidents, cataclysmes) ; un thème que l'on retrouve aussi dans Bowling for Columbine.
Lorsque la créature sort de l'écran, vide ses victimes de leur énergie et les asséche, on peut y voir une allusion au lavage de cerveau et à l'abêtissement que nous subissons continuellement à travers la télé.
Le Cercle et le cinéma d'Horreur Enfin un film d'Horreur véritablement effrayant et qui ne nous inflige pas un habituel clown « masqué » poursuivant des adolescents en sous-vêtements. La réussite du Cercle réside dans sa construction psychologique de l'horreur mais aussi dans l'utilisation d'un élément « inoffensif » présent dans chaque foyer, la télévision. La réalisation étonnement sobre et artistique de Gore Verbinski, plus connu pour des films enfantins et le laborieux Mexicain, parvient à créer une atmosphère étouffante dans laquelle on est absorbé. Le seul véritable regret est la présence inutile d'un jeune garçon qui « sees dead people » un procédé usé jusqu'à la corde depuis le Sixième Sens et qui officie ici comme un mauvais cliché. On ne peut aussi s'empêcher de penser à Videodrome.
La réussite d'un film psychologique tient aussi au talent de la distribution. Opter pour des acteurs moins connus a permis de conférer plus de place à l'intrigue sans, dans ce cas, y nuire. Naomi Watts, qui a fait un choix parfait pour succéder au chef d'oeuvre de Lynch, porte parfaitement le film sur ses épaules, tandis que les seconds rôles ont tout aussi bien été choisis (en particulier le toujours inquiétant Brian Cox (Manhunter).
Le Cercle et le cinéma Autre jeu de miroir, Le Cercle fait aussi référence au cinéma. Lorsque l'ex de Rachel voit la vidéo, il dit que ça lui rappelle simplement un film d'étudiant en cinéma, clin d'oeil ironique aux débuts expérimentaux de nombreux réalisateurs. Il se distance aussi du « film d'horreur pour ado » puisqu'après le début très classique avec deux jeunes fille seules dans une maison, on passe dans le monde adulte pour y rester. Mais c'est surtout lorsque le film se conclut, de la même manière que la cassette vidéo, que le message est clair : le cinéaste nous a manipulés pendant près de deux heures et s'est lui aussi nourrit de nos peurs.